Maladies professionnelles le travail, ce n’est pas toujours la santé !
«LE travail, ce n'est pas toujours la santé», contrairement à ce que chantait Henri Salvador dans les années 60. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'on se rend compte aujourd'hui que le travail est à l'origine de nombreuses maladies professionnelles. En s'exposant à des produits chimiques ou en répétant les mêmes gestes pendant plusieurs années, on malmène le corps. Par exemple, un «bureaucrate» qui passe plusieurs heures assis sur sa chaise va souffrir de maux de dos, considérés aujourd'hui comme le mal du siècle. Un ouvrier qui répète des gestes manuels va ressentir l’incidence de la récursivité de ses gestes sur les articulations de la main, du bras ou de l’épaule. Un instituteur qui écrit tous les jours au tableau risque fortement de finir avec une arthrose. A cela s'ajoute, l'impact de l'environnement, en cas d'inhalations chimiques ou d’exposition au tabac. Le risque de maladies respiratoires s’amplifie. Trop d'heures d'ordinateur usent les yeux.
Que propose donc la législation marocaine pour protéger ses travailleurs ? Le décret du 8 février 1958 a posé les premiers jalons de la médecine du travail. Mais ce n'est qu’en 1985 que la spécialité est enseignée à la faculté. Résultat des courses, le Maroc ne compte que 900 spécialistes alors que les besoins sont estimés à 3.000. Cela à une incidence directe sur la couverture du réseau des entreprises, et sur le temps accordé par les médecins aux salariés. Plus grave encore, la loi stipule qu’un médecin du travail ne peut exercer que s’il dispose d’un diplôme en la matière. Or la majorité des praticiens exerçant dans le domaine ne se sont pas spécialisés.
D’autre part, la loi prévoit qu’un «service médical du travail indépendant doit être créé auprès des entreprises industrielles, commerciales et d’artisanat ainsi que des exploitations agricoles et forestières et leurs dépendances lorsqu’elles occupent 50 salariés au moins» (article 304, chapitre III du Livre 2 du Code du travail). Pour celles de moins de 50 salariés, elles doivent s’organiser en service médical interentreprises, dit commun. Elles peuvent ainsi avoir un seul local dédié, comprenant un même matériel, et avec des infirmiers et médecins communs. Or sur le terrain, seule une entreprise sur quatre de plus de 50 salariés respecte cette disposition, et les services médicaux interentreprises sont quasi inexistants.
Conséquence directe : que 7% de la population urbaine active bénéficie de son droit à la santé au travail, et cette couverture reste inexistante pour les 5 millions de travailleurs ruraux. Un médecin du travail explique à L’Economiste, sous couvert d’anonymat, que «la médecine du travail ne fait pas partie de la mentalité des employeurs marocains». Celui-ci va plus loin, et souligne la difficulté de mettre en pratique la médecine du travail telle que définie par la loi. «Dans le code du travail, notre spécialité est une médecine préventive. Sur le terrain, nous faisons de la médecine curative, car l’employeur ne peut pas accepter l’idée de payer un médecin qui ne traite pas ses salariés».
Tous ces problèmes sont graves, mais le plus grave ce qu’ils ne concernent que la moitié des entreprises marocaines, puisque l’autre moitié ne se donne même pas la peine de faire appel à un médecin du travail.
Pourtant, cette problématique n’est pas des moindres, que ce soit au Maroc ou au-delà de ses frontières. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) évalue les coûts directs ou indirects des accidents et des maladies professionnelles à 4% du Produit National Brut (PNB) mondial, soit 1.250 milliards de dollars. Ces pertes se répartissent sur «les heures de travail perdues, les indemnisations des travailleurs, l’interruption de la production ou les dépenses médicales». Ainsi, il faudrait prêter attention à ce sujet, autant pour des raisons humaines et sociétales que pour des considérations économiques.
Pour ce faire, il est nécessaire d'assainir le cadre d travail. L’article 281 du chapitre premier du Code du travail stipule que « l’employeur doit veiller à ce que les locaux soient tenus en bon état de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé des salariés». Cette disposition met plus particulièrement l’accent sur la «prévention des incendies, l’éclairage, le chauffage, l’aération, l’insonorisation, la ventilation, l’eau potable, les sanitaires, l’évacuation des eaux résiduaires et de lavage, les poussières et vapeurs, les vestiaires et le couchage des salariés». Cependant, la loi marocaine n’étant pas des plus coercitives, son respect reste à la mesure de son laxisme. En effet, le non respect des dispositions légales en termes d’hygiène et de santé médicale n’est puni que d’une amende de 2.000 à 5.000 DH. De plus, seuls 22 médecins inspecteurs du travail sillonnent le pays pour relever les dysfonctionnements et peu de moyens sont mis à leur disposition. «Pour les déplacements, nous n’avons droit ni à la voiture de fonction, ni aux indemnités. Vous imaginez un inspecteur payer son taxi pour faire sa tournée ?», fait remarquer un professionnel.
Il serait peut-être temps de tirer la sonnette d’alarme, notamment si l’on considère le fait que le Maroc enregistre depuis une dizaine d’années une moyenne de 60.000 accidents du travail (soit 200 par jour) enregistrés auprès des assureurs, sans compter les maladies professionnelles.
Source: L'Economiste