Peut-on éclater la fonction RH ?
Bouchaib Mokhtari,
Responsable du Master Management des Ressources humaines
à l’ENCG de Settat
Le Matin Emploi : Pourriez-vous tracer l’origine, l’historique du concept « Tous DRH » et sa définition ?
Bouchaib Mokhtari : « Tous DRH » est un nouveau concept développé par Jean-Marie Peretti en 2003. Il s’agit d’une nouvelle approche RH qui exige l’engagement de tous les niveaux de la hiérarchie dans la gestion des ressources humaines. Selon l’auteur, il semble incontestable que la fonction RH doit être éclatée dans la mesure où son évolution conduit à une décentralisation des responsabilités des spécialistes vers les managers opérationnels.
Historiquement parlant, la gestion des ressources humaines n’a jamais été considérée comme une activité indépendante, car la conduite des hommes a toujours intéressé tous les responsables de l’encadrement dans les organisations depuis l’autorité hiérarchique supérieure jusqu’au salarié le plus modeste.
Partant du caractère complexe de la fonction RH dû à l’accroissement du volume d’information et de connaissances que doit gérer le DRH, le partage de la gestion des ressources humaines est devenu une solution incontournable pour comprendre, prévoir et contrôler le comportement de l’individu au travail dans tous ses détails. En effet, les décisions impactant les ressources humaines ne sont jamais prises par les DRH mais par les managers opérationnels.
Les managers seront donc « Tous DRH » s’ils développent des compétences en management stratégique des ressources humaines conditionnant leur succès professionnel.
Quelle est la valeur ajoutée du concept et son impact sur l’évolution de la fonction RH ?
« Tous DRH » est un principe qui s’inscrit dans le cadre d’une approche collective et dynamique de la gestion des ressources humaines. Il donne à la fonction RH un caractère distinctif et un avantage compétitif lui permettant de mieux se positionner par rapport aux autres fonctions de l’organisation. La direction des ressources humaines doit décentraliser la fonction RH vers tous les niveaux hiérarchiques de l’organisation et se concentrer davantage sur la stratégie de l’entreprise et sa politique générale.
Selon Jean-Marie Peretti, le contexte actuel de la gestion des ressources humaines est caractérisé par le développement de nouvelles logiques qui impactent les politiques RH à savoir :
Logique d’individualisation ou de personnalisation de la relation avec chaque salarié, il s’agit donc d’une gestion de personne et non plus de masse (individualisation des salaires, des horaires de travail, de formation et des compétences) ;
Logique d’adaptation ou de flexibilité de l’organisation dans tous les domaines de la gestion des ressources humaines : la fonction RH doit contribuer à maintenir la compétitivité de l’entreprise grâce à la flexibilité du travail qui passe par l’ajustement du niveau des effectifs et l’adaptabilité des salaires ;
Logique d’anticipation qui favorise l’adaptation aux événements imprévus. Il s’agit de substituer à la gestion à court terme de l’emploi une gestion à moyen et à long terme ;
Logique de mobilisation et de partage qui permet de créer des effets synergiques positifs en termes de connaissances et savoirs RH : cela veut dire que la fonction RH éclate et se répartit dans l’organisation générale et le DRH devient un partenaire d’affaires et un prestataire de services RH.
Réussir ces différentes logiques impose un effort considérable de sensibilisation et de formation RH de tous les opérationnels de l’organisation et la mise en place d’un système d’information RH.
Quelle est la relation qui existe entre le concept RH « Tous DRH » et le concept du système d’information RH « Self Service » ?
Aujourd’hui, les managers sont noyés sous les données, mais ils ont soif d’informations RH alors que leur capacité d’analyse est en faible augmentation. La solution à adopter est de favoriser le partage des informations RH par la mise en place d’un système d’information RH facilitant pour tous l’accès au moment opportun à l’information pertinente pour la prise de décision. Il s’agit donc d’un modèle de gouvernement démocratique de l’information basé sur un contrôle sévère de l’information et un accès facile et libre.
Dans le contexte actuel, le système d’information RH est un système de gestion personnalisé, anticipateur et flexible dont les usagers sont, non seulement les DRH, mais tous les acteurs de l’entreprise (direction générale, lignes hiérarchiques et salariés). En effet, l’ESS (Employee Self Service) est un bon exemple de partage de la fonction RH informatisée et qui donne la possibilité pour chaque salarié de gérer lui-même son dossier individuel via une application informatique. Donc le système d’information RH rend les managers « Tous DRH » grâce à la mise en place des « libres services RH ».
Pensez-vous que la fonction RH au Maroc est une fonction éclatée ? Pourriez-vous nous donner plus d’explications ?
C’est vrai que la fonction RH au Maroc a évolué considérablement depuis les années 90 sous l’effet de plusieurs facteurs : nouvelles politiques sociales, nouvelles technologies de l’information et la communication, l’internationalisation des entreprises et l’accroissement de la compétitivité de l’économie nationale. Ce constat impose à l’entreprise marocaine d’augmenter sa capacité d’innovation et de mettre en place une organisation plus réactive.
Selon plusieurs études de l’AGEF, ce changement n’a concerné que les entreprises marocaines de grande taille qui ont nécessairement les moyens financiers pour moderniser la gestion des ressources humaines et faire de la fonction RH un levier stratégique de développement et d’amélioration de leur position concurrentielle.
Pour le cas des PME/PMI qui représentent la majorité des entreprises marocaines, la fonction RH est limitée seulement à son aspect traditionnel de gestion du personnel où le responsable relève les absences et établit les bulletins de paye en utilisant des applications informatiques. Je pense que l’entreprise marocaine continue toujours à donner plus d’importance au capital humain comme facteur de compétitivité, mais elle n’a pas encore atteint la phase de partage de la fonction RH qui exige au préalable le développement des compétences professionnelles RH et l’adoption d’une culture orientée services.
Quelles sont les exigences organisationnelles et stratégiques pour éclater la fonction RH et réussir la mise en place du concept « Tous DRH » au niveau opérationnel ?
Comme je viens de préciser dans les questions précédentes, réussir le concept « Tous DRH » nécessite le développement des compétences individuelles et collectives en management des ressources humaines ; ce qui exige une culture organisationnelle et stratégique de partage de la fonction RH, c’est-à-dire savoir diluer les RH dans le quotidien des managers opérationnels.
Éclater la fonction RH et réussir la mise en place du principe « Tous DRH » au niveau opérationnel nécessitent :
• La mise en place d’une structure
organisationnelle en réseaux, c’est-à-dire une structure flexible plus aplatie et
innovante.
• L’informatisation de tout le processus RH.
• La création des centres de service partagés RH.
• La création de l’université d’entreprise pour brasser les compétences des
managers opérationnels.
• La mise en place d’un système
d’information intelligent et apprenant.
• La compréhension du métier de l’entreprise, sa culture et sa stratégie globale.
• Et enfin la maîtrise des outils de management stratégique.
Source: Le matin
